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21. Ah, les hivers d’antan !


Par Jean Pierre Rozier, ethnologue de la ruralité

21. Ah, les hivers d’antan !
Il ne s’agit pas d’une légende : combien les hivers d’antan croulaient sous la neige ! 

On sait les souvenirs des vieux habitants sur les contreforts du Sancy : leurs maisons englouties sous les congères après des nuits échevelées de tempête, fenêtres et portes obstruées… Ă l’extrême, il fallait creuser la poudreuse afin, en souterrain, de s’extraire du tombeau laiteux !

Référence obligée aux témoignages d’Eliane Méallet dans son livre « D’une fougère à l’autre » paru en 1993… Ainsi, en mars 1942, le paysage lunaire aux pourtours de sa ferme de Chastreix : « Les chemins n’existaient plus. On apercevait çà et là la cime de quelques piquets de clôture, comme des oiseaux posés sur la neige. Devant la porte, le fil de fer qui servait à étendre le linge avait disparu. On circulait au-dessus avec les skis. Pas un mur n’apparaissait. La neige était tellement tassée que les pelles avaient du mal à la couper ». Ainsi, au début des années 50, sur la route tirant sur Besse, cette image qui en dit long : « Une congère si haute s’était formée que, lors du déneigement, les cantonniers pouvaient allégrement pendre leurs vestes aux tasses des poteaux téléphoniques ». 

Une décennie plus tard, en mon village situé à 950 mètres d’altitude, le sol restait enneigé durant plusieurs mois. Aux premiers jours de mai, il subsistait parfois, sur les revers ombrés des hautes buttes, des traces de congères, je pense à 1968… Au temps des foins, juillet bien entamé, quand je ramenais nos vaches au pacage après la traite du soir, j’observais sur le pan ouest du Sancy des coulées de névés que les chaleurs estivales peinaient à dissoudre. 
     
Cela étant, même au plus fort des frimas, hormis en de brefs intervalles, les intempéries n’empêchaient pas la circulation des autos sur les grands axes. 

En guise de prévention, les services des Ponts et Chaussées avaient à l’automne déployé leurs rouleaux pare-neige formés de tiges légères de bois reliées par des fils de fer et les avaient plantés en retrait des endroits sensibles. Au jeu des puissantes souffleries hivernales dominées par les vents de sud et de nord, la neige s’amoncelait juste après ces lignes, sauvant ainsi des congères les routes en contrebas orientées est-ouest.   

Ă ce stade, il m’est difficile de ne pas y aller de mon couplet personnel sur « l’écir » (la burle n’est pas de chez nous !), vent arrivé tout droit de contrées nordiques et accompagné souvent d’une neige perfide aux flocons légers et serrés. Cette association supprimait toute visibilité ; on ne voyait ni ciel ni terre, les minuscules cristaux vous criblaient le visage, vous suffoquiez dans les tourbillons, franchement vous pouviez y rester, même à cent pas de votre demeure… L’écir, gage de renommée, savait être verbe, se faire conjuguer : « ça échire » disait-on ! J’énonce cela à l’imparfait : force est de reconnaitre que ça échire de moins en moins…

Ensuite, en guise de traitement actif, on disposait des chasse-neige… J’ai passé mon enfance en leur compagnie : notre porte il est vrai n’était distante de la grande route que de trois enjambées de bottes. Des chasse-neige, il y en avait pour tous les goûts, des petits, habiles à se faufiler dans les chemins, des gros qui ne s’abaissaient pas à quitter l’asphalte roulante des nationales. Certains poussaient devant eux des lames de rasoirs fixées de travers, d’autres des V inversés méchamment ferreux.  Mais aucun n’était encore muni de semoir à sable ou sel en son arrière-train ni de soufflerie cracheuse pour amoncellements impossibles à déplacer. 

Une bonne partie de l’hiver, la route était donc bordée par deux murailles de hauteurs variables en fonction des prises au vent et des encaissements. Les voitures évoluaient avec une certaine sécurité sur ce tracé de bobsleigh de Saint-Moritz, sans risque d’échapper à la piste. Restait le fond verglacé de patinoire… On faisait alors appel à la pouzzolane fine disposée en tas réguliers au long des pentes. Après épandage à la pelle, les pneus des autos trouvaient à s’agripper, mais, pour le coup, il fallait s’en remettre au courage et à la condition physique du cantonnier local ! 

Les chemins, eux, n’avaient que leurs yeux pour pleurer. Un matin, l’engin de service délivrait un goulot étroit que le vent d’autan refermait dans l’après-midi. Le lendemain, il revenait opérer son débouchage : sitôt le dos tourné, l’écir avait anéanti sa besogne !

Les autorités déneigeuses finissaient dans ces cas par battre en retrait, dans l’attente de jours moins floconneux et moins soufflants. Ă l’absence de chemins, planqués sous d’épais édredons, les villageois avaient remède : ils « passaient par les prés ». Le vent avait déblayé les espaces herbeux en hibernation, on ouvrait une claie à l’embouchure de la route et zou : on roulait à l’aise sur ces pistes subsidiaires, avec moins de secousses que sur les tôles ondulées du Paris-Dakar, notamment quand il s’agissait de prairies vouées au fauchage. Tous les itinérants, laitier, facteur, boulanger, boucher ou épicier se rendant en des hameaux reculés suivaient des voies de cette nature qu’un passage de tracteur retapait si une couche de neige fraichement tombée n’avait eu l’idée de se faire soulever par le vent. 

Les villages étaient recouverts d’habits immaculés, sans la poussière, surtout sans la gadoue ou le fumier complices des saisons adoucies. Aux approches des maisons, dans le but de joindre la fontaine ou les cages à lapins, le manteau était hachuré par des tranchées remises en l’état au fil des chutes régénératrices, des bouffées du ciel et des dégringolades du toit.                     
     
Tant d’hivers qui à présent n’en sont pas, dans le lot peut-être celui déjà amorcé, après les seaux d’eau sur nos têtes de mi-octobre à mi-décembre, presqu’un mètre sur Picherande… Avec ces hivers orphelins de neige / Aurait-il là-haut largué son solfège / Le maestro des nuages, du vent / Qui joue monocorde son océan ! / Avec ces hivers cousus de fil gris / Qui se refusent aux airs de Sibérie / Ă quoi rêvasse aux cieux l’ensorceleur / Pour jeter ainsi des sorts de moiteur ! / Avec ces hivers dépourvus de blanc / Que complote sur son mât le forban / Ă nous contrecarrer les alternances / Sa voilure toujours en même sens !  

 

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