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42. Mon école de village


Par Jean Pierre Rozier, ethnologue de la ruralité

42. Mon école de village
C’était pain bénit pour les enfants de notre village de Méjanesse : nous avions droit aux cours
du primaire à domicile. Hommage en soit rendu à la municipalité qui, par la grâce de Jules
Ferry, avait décidé, vers 1885, de construire trois écoles réparties sur le territoire de la
commune en sus de celles implantées au bourg.

Les écoliers avaient ainsi l’avantage de pouvoir rentrer au bercail à midi pour se lester
l’estomac, hormis des malchanceux issus de fermes par trop éloignées. En hiver, ceux-là,
quatre ou cinq, venaient partager à midi notre tambouille familiale.

Il conviendrait de décrire avec force trémolos la bucolique ambiance sous la hauteur du
plafond de la classe unique, la réconfortante chaleur procurée par le poêle à charbon planté au
milieu de la pièce et relié à la cheminée du mur par un long tuyau en suspension, les pupitres
constellés de taches violettes, l’estrade sonore, les cartes murales... Plus d’un enseignant de
haute conscience, reconverti sur le tard à la littérature, a restitué cela, atmosphère et images.
Doit-on s’étendre sur les invitations inopinées des inspecteurs de la sévère Académie ? Ces
valeureux, profs issus de vieille légion, mettaient un point d’honneur à se présenter sous un
jour en concordance avec la fonction, mais étaient dans le fond plus blasés qu’impitoyables.
Faut-il s’attarder sur les irruptions des doctoresses, leurs drôles de façons quand, par surprise,
elles nous soulevaient l’élastique du slip afin de vérifier nos mâles équipements ?

Ă quelque roulotte brinquebalante de bohémiens passant sur la route, il pouvait prendre
l’envie de faire halte un jour ou deux sur le coudert. La maîtresse accueillait alors de
mauvaise grâce une graine perturbatrice. Opposés à toute attache, refusant jusqu’à s’asseoir,
les enfants du vent et de l’éternelle errance nous proposaient des trocs incongrus : l’un avait
suggéré à ma sœur médusée de casser sa règle en son milieu afin d’en obtenir deux !

Mme Boutin, fragile et mal mariée, a supervisé tant bien que mal ma scolarité entre cinq et
dix ans. Quelques années plus tard, on l’avait retrouvée au bout d’une corde dans le préau de
sa nouvelle école d’affectation... L’époux effectuait avec sa voiture le transport des sacs de la
Poste, service transitaire entre avions, trains postaux et sacoches des facteurs. Il garait sa
longue 404 commerciale sur un recoin de notre préau. Pas un mauvais bougre ce Boutin,
simplement un citoyen immature, parfois violent !

Nous étions une quinzaine, dans une mixité spontanée. Les petits mecs affichaient un fond de
machisme rustique, disaient ne pas vouloir se marier, traitaient les filles de pisseuses lors des
escarmouches, se moquaient des italiens, les macaronis, et plus encore des binoclards, censés
être pleurnichards.

Je m’inscrivais dans cette mouvance et agrémentais notre vie de groupe par quelques miennes
colères, rares mais fort retentissantes : pots de fleurs en rebord de fenêtres jetés à terre, porte-
plume lancé tel fléchette vers la maîtresse… Mes camarades en restaient tétanisés !
Parenthèse refermée, et une fois signalés les penchants innés de l’un pour la baston,
l’ambiance était débonnaire, entre pets anodins, copiages innocents et fous rires
incontrôlables.

Ma sœur avait l’assurance d’être la première de sa classe, car seule native du millésime
1951… Les filles, soigneuses par nature, déployaient des calligraphies harmonieuses,
contrairement aux garçons, à l’aise avec plume et encrier autant que gallinacés avec des
couteaux.

Vraiment, l’ambiance n’était pas aux travaux forcés en notre école… Dès le onze novembre,
il convenait de préparer Noël, de débusquer des saynètes, de démarrer les répétitions. Le
trimestre était écourté d’autant ; ma mère râlait. Cédant à un cri païen de vogue nouvelle, le
maire s’était converti à l’idée de faire dresser un sapin dans la salle de classe. Il convenait de
le garnir en bougies, en guirlandes. Punaise qu’il était haut : sa pointe rayait le plafond !

Quant à la discipline… Le printemps, aux motifs de travaux pratiques en sciences naturelles,
on allait quérir des bêtes à bon Dieu, des hannetons et des boutons d’or dans clairières et sous-
bois. La troupe buissonnière s’égayait, musardait par les chemins caillouteux. Les files par
deux, les rangs d’oignons, au village on ne connaissait pas : bon sang, on n’aspirait pas à
préparer Saint-Cyr !

J’étais en cours moyen deux quand débarqua une nouvelle maitresse, d’une autre farine que la
précédente. Coupant court au laxisme ambiant, elle vous reprit en main ce petit monde : vrai
de vrai, je lui dois une fière chandelle ! J’ai cherché à retrouver sa trace, sans résultat. Un
jour, un passionné dressera la liste complète des serviteurs dévoués de notre école, parmi
lesquels Mlle Aubert dont je vous entretiendrai à la rentrée prochaine si Dieu me prête vie et
si le site continue à s’ouvrir à mes fariboles !

De ces années, je n’ai qu’une photo, datant de la rentrée 1963 selon mes déductions. La rareté
des clichés en fait la saveur. Nous sommes dans la cour, les hautes fenêtres de la classe en
arrière-plan. On distingue à l’intérieur un globe terrestre. Le soleil nous gêne, plusieurs
d’entre nous offrent à l’appareil des visages de biais, regards mi-clos sous la frange.
Bizarrerie, les garçons l’emportent haut la main : les Chaleil, Andanson, Ballet, Fargeix,
Goigoux, Verdier… Je me singularise par mes jambes nues et un tablier seyant fabriqué par
ma mère sur patron.

Sur nombre de ces têtes, depuis belle lurette on pourrait inscrire des croix mortuaires. Nos
classes d’âge, celles au masculin, bien qu’épargnées par les guerres, ont été prématurément
emportées. Vous savez, des artères obstruées par des abus répétés de tous acabits, des retours
de bals tragiques dans des vapeurs alcoolisées ou l’attraction du vide sur des glissières de
viaduc… Les filles ont connu moindres périls en leurs chemins de vie !

En septembre d’après, j’étais armé pour accoster en sixième au collège laïc de Tauves,
comme Lucette, classarde, voisine, cousine et complice, à côté de qui je m’assis tout
naturellement le premier jour. J’eus droit à la moquerie du directeur et aux regards torves des
camarades... Cette démarcation entre garçons et filles signala pour moi la fin d’une candeur
d’enfance.

Quant à notre école, condamnée au couperet pour fréquentation en perdition, elle a fermé ses
portes en 1978.
 
Septembre 2025

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1.Posté par SOLIGNAT Georges le 01/10/2025 21:43 | Alerter
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Félicitations pour ce rendu succulent!!! Votre tenue d'écolier atteste des soins attentionnés portés, à leur fils, par vos parents(culotte courte et tablier d'école stylé....). En fait, vous étiez entre de très bonnes mains, à tous égards...avec une projection majeure sur votre avenir, fort bien exprimée par "bcp de temps perdu en préparatifs de Noël ". Dans nos belles campagnes de la région référencée et, à cette époque là, le milieu PAYSAN (j'en suis un pur produit!!!) militait, globalement, assez peu sur les fondamentaux d'une scolarité "poussée" en vue d'un excellent avenir professionnel de leurs enfants....
En ce qui concerne le quotidien de la vie scolaire - hors salle de classe - les distractions et agissements des braves combattants que nous étions relèvent d'une encyclopédie...Je remarque, néanmoins, que la violence physique était très rare... et, si d'aventure, cela se produisait , la "correction" tombait "lourdement"!!! Exécution immédiate!!!
Encore MERCI pour cette superbe mise en scène.

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